Depuis plusieurs années, le paysage du streaming non-officiel en France est marqué par une valse permanente d’adresses web qui ferment, réapparaissent ou se rebaptisent pour échapper aux mesures de blocage ordonnées par les ayants droit et l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Parmi ces plateformes, Ovoob s’est rapidement hissé dans le peloton de tête des sites les plus consultés, totalisant encore plus de 4 600 visites mensuelles en février 2025, selon Similarweb, malgré une chute d’audience de près de 28 % sur trois mois Similarweb. À l’aube du printemps 2025, le site vient pourtant d’opérer un changement crucial : il abandonne le nom Ovoob pour revêtir une nouvelle identité. Avant d’examiner en détail les implications de cette évolution, un rappel s’impose sur les difficultés d’accès que connaissent fréquemment ces services.
Accès perturbé : le rôle ponctuel du VPN
Les fournisseurs d’accès à Internet appliquent de plus en plus les décisions judiciaires ou administratives de blocage visant les sites diffusant des œuvres protégées sans autorisation. Lorsque des internautes tentent de se connecter et se heurtent à une page inaccessible, la parade la plus courante reste immuable : « si le site ne s’ouvre pas, les gens utilisent un VPN ». En masquant l’adresse IP réelle de l’utilisateur et en la faisant transiter par un serveur étranger, ce procédé permet parfois de contourner des filtrages reposant sur la géolocalisation. Attention toutefois : l’usage d’un réseau privé virtuel ne légitime en rien la consultation de contenus illicites et n’annule pas la responsabilité de l’internaute.
Nouveau nom et nouvel URL pour Ovoob
Après plusieurs changements d’alias depuis 2022, Ovoob change de nom en avril 2025 et devient officiellement Ikromi.
Voici le nouvel URL : https://ikromi.com.
Cette mutation, confirmée ces derniers jours par plusieurs sites de veille spécialisés dans les “adresses alternatives”, s’inscrit dans la même logique de fuite en avant que d’autres portails de streaming gratuits tels que Rikmod ou Yanovi. L’équipe exploitante espère ainsi échapper, au moins temporairement, aux listes noires et aux ordonnances de blocage qui se multiplient.
Pourquoi ces plates-formes changent-elles de visage ?
La stratégie de changement de nom, fréquente chez les sites diffusant du contenu sans licence, est principalement réactive : chaque fois qu’une adresse est repérée, un juge peut ordonner aux FAI de la bloquer. Depuis l’adoption en 2021 de l’article L.331-27 du Code de la propriété intellectuelle, l’Arcom a demandé 88 fois le blocage de 549 noms de domaine en 2023 seulement. Les exploitants créent donc de nouveaux miroirs, modifient leur marque et préparent leurs fidèles à suivre la prochaine migration.
Profil et fonctionnement d’Ikromi
Malgré son nouveau patronyme, Ikromi conserve une interface quasi identique : pages à défilement infini, films et séries classés par genre, lecteur vidéo intégré, absence d’inscription obligatoire et diffusion gratuite de milliers de titres. Les observateurs notent que les fichiers proviennent la plupart du temps de sources externes — cyberlockers ou CDN — sur lesquels Ikromi n’héberge pas directement les œuvres. Techniquement, le portail se présente donc comme un index et se fonde sur l’automatisation pour remplacer rapidement les liens morts.
Les risques juridiques pour l’utilisateur
Contrairement à une idée reçue, regarder un flux illégal ne relèverait pas d’un “vide juridique”. La France applique toujours la “riposte graduée”, désormais intégrée au système Arcom : accéder à une œuvre protégée sans autorisation peut entraîner une contravention pouvant aller jusqu’à 1 500 € pour usage personnel ; des peines de 3 ans d’emprisonnement et 300 000 € d’amende sont prévues pour les infractions à plus grande échelle. Recevoir un avertissement électronique, autrefois émis par Hadopi, reste donc possible. Utiliser un VPN n’efface pas l’infraction : les journaux de connexion, s’ils sont saisis, peuvent remonter au véritable utilisateur.
Les menaces techniques et financières
Le streaming illégal expose également à des risques de nature informatique : scripts malveillants injectés dans les lecteurs vidéo, faux boutons “Play” menant à des adwares, ou téléchargement furtif de malwares. Plusieurs études de cybersécurité relèvent une corrélation entre usage de sites pirates et infection par des ransomwares ou voleurs de données. À cela s’ajoutent des pratiques trompeuses : redirections vers des plateformes d’abonnement douteux ou minage clandestin de cryptomonnaie sur le terminal de l’internaute.
Le contexte réglementaire français et européen
Au niveau hexagonal, le législateur a renforcé le dispositif contre le piratage de compétitions sportives (article L.333-10 du Code du sport) et autorise les détenteurs de droits à saisir le juge en référé pour le blocage instantané de sites diffusant des streams en direct non autorisés. L’efficacité des blocs DNS sur le long terme reste débattue, mais les rapports Arcom font état d’une baisse de 18 % de l’audience illicite en 2024 par rapport à 2023. Au niveau européen, la Commission travaille depuis 2023 à un dispositif de “retrait en 30 minutes” pour les retransmissions live, illustrant une pression croissante sur les hébergeurs et intermédiaires.
Comment les internautes se repèrent-ils ?
À chaque changement de marque, les administrateurs publient généralement des messages épinglés sur X (ex-Twitter) ou Telegram, parfois relayés par des blogs spécialisés dans le “mappage” d’adresses. Toutefois, ce bouche-à-oreille comporte sa part d’arnaques : des cybersquatteurs profitent de l’attente d’un nouveau nom pour lancer de fausses copies truffées de pièges financiers. Vérifier le certificat TLS, croiser plusieurs sources et rester vigilant à toute requête d’inscription payante fait partie du minimum de prudence.
Alternatives légales
Face aux hésitations de certains consommateurs, il est utile de rappeler la multiplication des offres légales : du Pass Culture pour les 15-18 ans, à la médiathèque numérique accessible gratuitement via de nombreuses bibliothèques municipales, en passant par les plateformes AVOD (vidéo à la demande financée par la publicité) comme Pluto TV ou Rakuten TV. Ces solutions garantissent la rémunération des ayants droit et limitent l’exposition aux virus. Par ailleurs, plusieurs opérateurs télécoms intègrent désormais des chaînes FAST gratuites dans leurs box.
Quid de la durabilité d’Ikromi ?
Si l’histoire se répète, Ikromi pourrait n’être qu’une étape éphémère. Dès qu’une décision de justice tombera, l’adresse risque d’être rendue inaccessible par les principaux FAI français, et le site devra alors migrer vers un nouvel alias. Cette instabilité chronique rend illusoire toute confiance à long terme. Pour le visiteur, cela signifie perte éventuelle de signets, expositions répétées à des publicités intrusives et insécurité juridique permanente.
Bilan : un changement de façade, pas de paradigme
Le passage d’Ovoob à Ikromi illustre la résilience d’un écosystème parallèle qui prospère sur la gratuité et l’anonymat relatifs d’Internet, tout en s’exposant à la surveillance accrue des autorités. Tant que le modèle économique des ayants droit et les attentes budgétaires des utilisateurs resteront discordants, cette danse des noms de domaine perdurera. Pour l’internaute, la proposition demeure la même : profiter sans payer, mais au prix de risques tangibles et d’un accès toujours incertain.
En définitive, Ikromi n’est qu’un nouveau maillon d’une longue chaîne de sites miroirs qui capitalisent sur la demande de streaming gratuit. Comprendre les rouages techniques, juridiques et économiques de ces plateformes permet de mesurer que l’enjeu dépasse largement le simple changement d’URL : il touche à la valeur de la création artistique, à la sécurité numérique et au respect du droit.